COMMANDO KIEFFER
Un groupe de commandos en inspection ; au premier plan : De Villers (gauche) et Briant dit "Le Canadien" (droite)
Au large de Ouistreham, le 6 juin, 5 heures. Les occupants de deux péniches fixent avec émotion, le rivage. C'est leur patrie qu'ils devinent, là-bas, noyée dans la fumée des explosions. Ils sont 177, le plus jeune a 18 ans, le plus vieux, la quarantaine. Composé en majorité de Bretons, le premier bataillon de fusiliers marins commandos, a été intégré au commando britannique n° 4. Sa Mission : ouvrir la plage de Sword et conquérir la station' balnéaire de Ouistreham.
Ce sont les seuls Français à débarquer. Secoués par les vagues et abasourdis par le fracas de la préparation d'artillerie, ils se taisent.
« On était émus et concentrés sur notre boulot », raconte aujourd'hui Léon G... Léon pense-t-il à Dorothy, la jeune Anglaise à laquelle il s'est fiancé début 1944, Dorothy qu'il épousera au retour du front ?
Par panache, ils débarquent, sans leur casque.
Les minutes passent, interminables. Les hommes vérifient une dernière fois leurs armes. Leur chef, le commandant Philippe Kieffer, a annoncé qu'il fallait s'attendre à 50 % de pertes. Là-bas, les obus de marine ont cessé de marteler les blockhaus. C'est l'heure. Par panache, ils ont décidé de débarquer sans casque, coiffés du béret vert dont ils sont si fiers. Dans la seconde embarcation. des. Français, la 527, Gwennaël B.. serre précieusement sa mallette d'infirmier. Lui, c'est le benjamin du commando. Il porte un faux nom pour que sa famille, restée en France, ne soit pas inquiétée. Il a rejoint l'Angleterre en mars 1943 sur un voilier rafistolé échappé du Finistère. Il avait 17 ans.
7 h 30. Une secousse molle et les péniches s'échouent. La plage est à 100 m. Un obus frappe la 527. « Sous l'étrave, parmi les débris de bois, des hommes blessés se noient. L'eau qui emplit leur bouche les empêche d'appeler au secours », écrira plus tard le benjamin.
Les 177 Français et leurs 300 camarades anglais sautent dans l'eau. sous le feu nourri des défenseurs allemands.
« L'eau était noire. Les obus de mortier remuaient la vase. On avait de l' eau jusqu'à la poitrine », raconte encore Léon.C'est l'assaut. Rapide et brutal. Robert P.. qui, comme Léon, vit désormais à Ouistreham, n'a pas le temps de traverser la plage. « A peine étions-nous sortis de l'eau qu'un obus de mortier a frappé la section. Il y a eu des morts. Moi, j'ai ramassé 22 éclats dans l'aine. C'était fini. » Pour cet homme, ce costaud fort en gueule, le jour J aura duré quatre minutes. La section Baguot traverse un champ de mines en courant, sans hésitation. Léon s'en souvient: «. On a eu du pot, pas une égratignure. La section suivante, elle, a eu de la casse.
"On ne repart pas cette fois-ci c'est pour de bon"
Difficile progression dans Ouistreham, Route de Lion sur Mer en fin de matinée du 6 juin. Ces soldats appartiennent à une K.Gun Troop Britannique, Celui du premier plan est armé du fusil Enfiel n° 4 MK1. Il est facile de distinguer les commandos Français des Anglais, car les premiers nommés ne portaient pas de casque, mais leur inséparable béret vert. La propriété à droite est celle de M. Lebas
Une fois neutralisées les défenses de la plage, Français et Britanniques s'élancent vers Ouistreham.
Dans un jardin, Léon rassure un couple de civils terrorisés et surpris de voir un Anglais (tous les commandos portent l'uniforme britannique) parler si bien le français. « Ils devaient croire que c'était un simple raid, comme celui de Dieppe en l942. Ils m'ont dit: " Qu'est-ce que l'on va souffrir quand vous allez repartir ! " Moi, je leur ai répondu qu'on ne repartait pas, que cette fois, c'était pour de bon. » Devant le casino transformé en fortin par les Allemands, les hommes du commando Kieffer sont cloués par un déluge de feu. Gwennaël assiste le docteur Lion, médecin de l'unité. Une rafale cueille le toubib, sous ses. yeux. Plus loin il ne peut que soulager un agonisant en le bourrant de morphine. Dix Français mourront avant qu'un char anglais ne fasse définitivement taire le canon allemand..
A 11 h 30 la ville est Iibérée. Les Allemands se rendent.
« On leur bottait un peu les fesses, avoue, Léon. Ils étaient beaucoup plus nombreux que nous. Certains s'en rendaient compte et on était un peu inquiets. Un bataillon anglais nous a rapidement relevés. »
Le commando s'enfonce ensuite dans la campagne en direction du Nord. Ils traversent sous la mitraille le pont de Bénouville, Pegasus Bridge, que tiennent depuis les premières minutes du jour J les paras anglais. Ils doivent prendre position à Amfreville et bloquer les contre-attaques allemandes qui menaceraient directement les plages.
L'état-major, optimiste, a estimé la durée de leur engagement à quatre jours. En fait, ils vont rester soixante-dix-huit jours en première ligne, sans relève. Fin août, les effectifs auront fondu de moitié. Seuls, 25 des 177 hommes du commando Kieffer n'auront pas été blessés.
Parmi les chanceux, Léon G... « J'ai eu de la veine.», reconnaît-il.
Les commandos ont l'héroïsme modeste.